Sur cette terre
Quelque part entre les Israéliens et les Palestiniens, c'est là que semble-t-il Steven Spielberg a voulu situer sonfilm. Mais c'est où, quelque part ? A Munich, en septembre 1972 ? Non, la tragédie de Munich n'est que le déclencheur du film, de cette longue série d'assassinats vengeurs perpétrés par un groupe dont le scénario suit pas à pas les pérégrinations. Quelque part, c'est un peu en Israël, c'est surtout partout en Europe. Alors, quelque part et nulle part, la même chose en fait. « Munich »travaille cette question, essentielle dans l'imaginaire spielbergien (la maison de E. T.), au gré d'un thriller courageux par son ambition, mais décevant parce que répétitif, ressassant, interminable parfois, parce que encombré de clichés, de rebondissements prévisibles, de débordements sentimentaux convenus. Le film épaissit le mystère Spielberg, technicien hors pairauquel il arrive d'aller contre ses propres intentions (la répugnante scène des douches dans « la Liste de Schindler »), et qui ici livre la séquence la plus grotesque qui soit, montage alterné de tueries et d'orgasme. Comme un rappel : ses triomphes commerciaux ont sanctifié l'infantilisation d'un cinéma dominant auquel lui-même se révèle incapable de redonner une dimension adulte.
Si « Munich » tourne autour de la question du périmètre vital, le nouveau film de Pavel Lounguine creuse le thème des racines : d'une part, comment vit-on quand on n'apas d'endroit où vivre, d'autre part, comment vivre sans racines. Des racines, c'est justement ce que vend aux Russes émigrés l'astucieux personnage de « Familles à vendre », sous la forme de « parents » censément retrouvés par ses soins, en réalité des figurants rémunérés. On pense à des « âmes mortes »... encore en vie. Comme souvent chez le cinéaste, c'est agréablement foutraque, cela part dans tous les sens, c'est parfois plus profond que cela n'en a l'air, mais alors Lounguine s'empresse de passer à autre chose. Ce en quoi il a bien raison, même si forcément cela ne plaît pas à tout le monde, car il entretient ainsi l'esprit de la farce, hélas bien vacillant par ailleurs.
Les personnages du premier film du cinéaste sri-lankais Vimukthi Jayasundara ni ne s'interrogent sur leurs racines ni ne se posent la question de leur lieu de vie. Ils sont comme tombés d'un ciel immense sur une terre sans limites, où ils accomplissent chaque jour les mêmes gestes, sans plus de joie apparente dans l'amour que de peine dans le labeur. « La Terre abandonnée » exige du spectateur qu'il s'abandonne au rythme d'un cinéma qui pour exprimer s'en remet à la durée, où les mots sont rares, où chaque plan paraît composé comme si la vie du cinéaste en dépendait. Il se peut qu'elle en dépende, en effet.
Par Pascal Mérigeau
Nouvel Observateur - 26/01/2006