L’Histoire en otage

Publié le par David CASTEL


Munich,

de Steven Spielberg.

Après la Liste de Schindler sur l’Holocauste, après Amistad sur la traite négrière, après Il faut sauver le soldat Ryan, Steven Spielberg trempe une nouvelle fois la fiction cinématographique dans le sang de l’Histoire pour proposer, avec son dernier opus, Munich, un thriller psychologique d’espionnage qui, alternant scènes d’action explosives, suspense hitchkockien et pauses grandiloquentes, se voudrait une réflexion morale et politique sur les thèmes de la vengeance, de la culpabilité et de l’engrenage de la violence. Les événements réels, dont le cinéaste s’inspire en adaptant le livre Vengeance, du journaliste canadien Georges Jonas, sont d’une actualité encore brûlante, puisqu’il s’agit de l’un des épisodes les plus retentissants du conflit israélo-palestinien : le massacre par des terroristes palestiniens de onze membres de la délégation israélienne pendant les jeux Olympiques de Munich de 1972. Même si la prise d’otages, reconstituée et montrée en une suite de fragments traumatiques (de l’intrusion du commando palestinien dans le village olympique jusqu’au carnage final), sert de fil rouge à la fiction au point de la hanter et même de l’étouffer, c’est aux conséquences de l’attentat et à l’opération clandestine de représailles menée par les agents du Mossad que le film s’intéresse.

Construit sur le modèle narratif de films d’action tels que les Sept Samouraïs ou Mission impossible, Munich raconte l’histoire d’un agent du Mossad, Avner Kaufmann, engagé dans le plus grand secret par le premier ministre Golda Meir, pour diriger une équipe hétéroclite de cinq hommes dont la mission consiste à traquer et à éliminer, en Europe, onze Palestiniens considérés par les services secrets israéliens comme responsables de la prise d’otages munichoise. À chaque nom nouveau rayé sur la liste, à la suite de chaque explosion d’une violence de moins en moins maîtrisée, après chaque information sur la future victime achetée de plus en plus cher à une improbable famille d’activistes et gourmets français qui semble tirer bien des ficelles, au fur et à mesure que le sang de la vengeance se répand et souille ceux qui se croyaient investis d’une juste mission, les questions sur les méthodes, les doutes quant aux cibles, les interrogations sur le bien-fondé et l’efficacité de leur action, les remords de conscience assaillent progressivement les membres du commando et notamment leur chef Avner. Ce héros spielberguien type : homme ordinaire, fils d’un ancien héros du Mossad (mais père absent), époux aimant et fidèle, devenu papa... découvre, au fil du film, et le spectateur hébété avec lui, que les personnes qu’il assassine sont aussi des papas quand ils ne sont pas des poètes, que ses compagnons et lui peuvent aussi se comporter avec la plus obscène et violente brutalité, que tuer un être humain quelle qu’en soit la raison est condamnable, que la mère patrie n’est peut-être pas le meilleur foyer pour un juif, que qui sème le vent récolte la tempête...

On l’aura deviné, humain, trop humain, Steven Spielberg fait de la psychologie en croyant faire de l’histoire, et, pensant prêcher le pacifisme, il prône la confusionisme. Parti pris esthétique et éthique douteux qui met tout en parallèle, tout sur le même plan : le lait et le sang qui se répand lors du premier meurtre italien ; ces agents du Mossad et ces agents arabes réunis dans une même planque à Athènes et se revendiquant de toutes les organisations terroristes internationales ; le sexe et la mort dans la séquence montrant en parallèle Avner faisant l’amour avec sa femme et des flashs du massacre des otages sur le tarmac de l’aéroport ; Munich et New York avec ses deux tours jumelles qui se dressent dans le plan final du film pour nous rappeler que tout est dans tout.

Enfonçant des portes ouvertes, Spielberg oublie une nouvelle fois la porte étroite par laquelle aurait pu passer l’esprit de l’Histoire et du cinéma.

José Moure

Article paru dans l'édition du 28 février 2006.

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Publié dans Critiques film France

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