Steven Spielberg à l'ombre du 11 septembre 2001

Publié le par David CASTEL

 

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"Munich"


Alain Lorfèvre

Mis en ligne le 24/01/2006
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Le plus optimiste des réalisateurs américains doute désormais. Depuis dix ans, son oeuvre se teinte de noir.

Ce sont les attentats du 11 septembre 2001 qui ont poussé Steven Spielberg à tourner «Munich». Depuis 1998, le projet pourrissait dans le purgatoire hollywoodien, passant de scénariste en scénariste (lire en page 2). Mais le traumatisme du 11 septembre a fait changer d'avis le réalisateur de «La Liste de Shindler», qui a vu soudain dans ce récit retraçant la traque des terroristes palestiniens responsables de la prise d'otage sanglante de Munich l'occasion d' «une prière pour la paix», selon les termes mêmes de Spielberg, ainsi qu'un hommage aux athlètes israéliens. «L'une des raisons pour lesquelles j'ai voulu faire ce film, expliquait Spielberg dans l'entretien exclusif qu'il a accordé au «Time», c'est que les Jeux olympiques se tiennent tous les quatre ans mais qu'il n'y a jamais eu d'hommage digne de ce nom rendu aux athlètes israéliens assassinés en 1972.»

Entertainer engagé

Voir Steven Spielberg s'attaquer à un sujet aussi sensible pour son vingt-cinquième film est a priori surprenant. L'homme reste l' entertainer n°1 d'Hollywood depuis qu'il a inventé - un peu par hasard - le blockbuster avec «Les dents de la mer» en 1976. Son nom reste synonyme de film à grand spectacle et de succès commercial. Mais depuis «La Liste de Schindler» en 1993 - qui lui valut son premier Oscar de réalisateur après vingt ans de carrière - le ton se faisait plus grave. «J'étais terrifié à l'idée que le film véhicule le contraire de ce que je voulais dire. (...) Je trouvais important qu'au minimum mes enfants puissent voir un jour ce qui s'était passé, juste savoir que cette histoire avait été contée. C'est la même chose pour «Munich», confie-t-il aujourd'hui.

Depuis, lentement mais sûrement, Spielberg a peaufiné sa nouvelle ambition artistique, luttant parfois contre ses habitudes. «Il faut sauver le soldat Ryan» avait encore des relents patriotiques mais contrecarrant l'héroïsme du récit par une vision sans concession des horreurs de la guerre. «A.I.», reprise de l'ultime projet de Stanley Kubrick, et «Minority Report», polar fantastique adapté de Philip K. Dick, se teintaient de noir, même si, dans le second, Spielberg n'a pu résister à la tentation du happy end, trahissant l'esprit de l'auteur. «The Terminal» osa ensuite s'attaquer à un sujet brûlant - le renforcement de la politique d'immigration aux Etats-Unis - même si Spielberg usait de la comédie et se faisait frileux en confiant le rôle d'un réfugié d'Europe de l'Est à Tom Hanks, symbole même de l'Américain bon teint.

L'été dernier, «La guerre des mondes» n'a pas dérogé à la règle du rendez-vous estival, avec Tom Cruise et l'enfant-star Dakota Fanning en tête d'affiche. Mais déjà, le ton se faisait plus sombre. A cinquante-neuf ans, feu l'optimiste Spielberg doute. L'adaptation d'H.G. Wells était une métaphore limpide de l'après 11 septembre. Dans une scène clé du film, le personnage de Tom Cruise, père de famille, devait choisir entre prendre les armes ou sauver sa fille.

Le fantôme du World Trade Center

Avner, l'agent du Mossad chargé de mener la traque aux terroristes dans «Munich», magistralement incarné par Eric Bana, est aussi un père de famille. C'est précisément pour l'avenir de celle-ci et d'Israël qu'il accepte sa mission. Mais son parcours sanglant le fait douter à partir d'une rencontre charnière avec un ennemi, qui devient symboliquement son double. La scène est totalement fictive, une licence artistique que revendique Spielberg. «La chose dont je suis le plus fier, c'est que le scénariste Tony Kushnerr, les acteurs et moi-même n'avons diabolisé personne dans le film. Nous ne diabolisons pas l'adversaire. Ce sont des individus, ils ont des familles. Ce qui ne m'empêche pas de condamner ce qui s'est passé à Munich», souligne encore Spielberg dans son entretien au «Time».

Pas question pour lui de justifier les choix des autorités israéliennes de l'époque. «J'ai toujours été favorable à une réponse forte d'Israël à toute menace. Mais en même temps, répliquer à la réplique engendre un cercle vicieux. (...) Où finira-t-il? Quand s'arrêtera-t-il?» C'est aussi la question que finit par poser Avner. En réintroduisant numériquement le World Trade Center (qu'il avait gommé dans «A.I.» suite aux attentats) dans le dernier plan, Steven Spielberg mêle les fantômes d'hier et ceux d'aujourd'hui pour manifester son angoisse de l'avenir.

© La Libre Belgique 2006

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Publié dans Critiques film France

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