L’année de tous les dangers

Publié le par David CASTEL


Munich

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-  Durée : 2h40mn
-  Le site du film
  • Réalisateur - Steven Spielberg
  • Avec - Marie-Josée Croze - Daniel Craig
  • Genre - Drame - Historique
  • Nationalité - Américain
  • Date de sortie 25 janvier 2006
  • L'avis des internautes (1 avis)

       

    Avec Munich, grand film audacieux et rutilant, Spielberg confirme simplement qu’il est le plus grand réalisateur actuel.

    L’argument : Les 5 et 6 septembre 1972, à Munich, huit Palestiniens du groupe terroriste Septembre Noir prenaient en otage des membres de la délégation israélienne lors des Jeux Olympiques : onze athlètes y trouvèrent la mort...

    Notre avis : Après l’impressionnante Guerre des mondes où Spielberg revisitait le chef-d’œuvre littéraire de H.G. Wells et édifiait une parabole d’une Amérique post-11 Septembre gangrenée par la paranoïa aiguë et la peur de l’étranger, Munich, son nouveau film, confirme la prolixité d’un cinéaste qui ne cesse d’édifier des grands films. La mise en scène atteste cette virtuosité : elle atteint des sommets, avec des mouvements de caméra impressionnants, et transcende des situations qui, sur le papier, pourraient sembler anodines. Par une profusion d’éléments, Spielberg parvient à retranscrire le chaos dans la plus banale des banalités, à sonder les angoisses souterraines, à pointer les traquenards sournoisement ourdis dans un écrin faussement serein.
    Le cinéaste instille une insoutenable tension paranoïaque qui broie les viscères. La force de suggestion est telle qu’on a l’impression constante qu’une bombe est prête à exploser (le spectateur est sur le qui-vive). Beaucoup ont reproché à Spielberg de plaquer des codes fictionnels sur une histoire vraie, et son manichéisme. Or, sa démarche suit le chemin inverse : il ne fait qu’amplifier l’humanité chez des personnages qui, ailleurs, auraient sans doute été traités comme de la chair à canon. On sait que Spielberg aime à faire dans la morale. Ici, il ne fait que souligner que personne n’est ni bon ni mauvais. Ce que le cinéaste montre du doigt, c’est la connerie vengeresse qui anesthésie le cerveau et stimule la paranoïa. En creux, comme toujours chez le réalisateur, les résonances sont actuelles. Cette histoire permet de décortiquer le conflit israélo-palestinien, mais Spielberg, comme dépassé par son dispositif filmique, tombe dans une impasse annoncée par le montage parallèle des athlètes israéliens assassinés avec l’énumération des cibles palestiniennes du Mossad. C’est la confirmation que le réalisateur broie du noir : son regard sur le monde est de plus en plus sombre. L’enfant qui refusait de grandir s’est mué en adulte neurasthénique conscient des horreurs du monde.

    Romain Le Vern



    Mais Munich n’est pas qu’un film politique qui par ailleurs fustige toute notion d’exposé didactique. C’est surtout un objet de cinéma ludique qui, s’il n’évite pas quelques scories (baisse de régime dans le dernier tiers de bobine, élans mélodramatiques...), se situe en permanence au-dessus de la production actuelle. Il y a dans Munich suffisamment de substance pour nourrir les scénarios de dix films actuels. La toile de fond politique peut presque être considérée comme un cache-sexe qui permet au cinéaste de revisiter deux genres précis (le film d’espionnage et le polar) et par intermittences d’en bouleverser les codes (Marie-José Croze fait une apparition brève mais marquante en femme fatale) dans un contexte explicite (le fait que l’action se passe dans les années 70 exige un travail de reconstitution soigné et minutieux). Munich constitue également une aubaine pour les acteurs qui trouvent matière à étayer des personnages complexes. Spielberg s’autorise de vraies audaces de cinéma comme celle de confronter, dans un dialogue quasi surréaliste, Michael Lonsdale et Eric Bana. Dans les seconds rôles, c’est Daniel Craig qui se distingue sans doute parce qu’il révèle un talent insoupçonné pour jouer autre chose que les personnages unilatéraux.
    Devant ce spectacle riche et ambitieux, qui foisonne de thèmes et ridiculise toute forme de concurrence, le spectateur ne peut que se réjouir de ressentir cette sensation devenue trop rare d’être le témoin d’un grand moment de cinéma. Que ce soit d’un point de vue politique, narratif ou formel, Spielberg n’a jamais pris autant de risques tout en les assumant jusqu’au bout. Certains ne le lui pardonnent pas, mais on n’aime pas féliciter les élèves trop brillants. Il fait du cinéma et le fait mieux que les autres.

    Romain Le Vern

    Publié dans Critiques film France

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