Dans les coulisses de "Munich"

Publié le par David CASTEL

LE MONDE | 21.01.06 | 14h32  •  Mis à jour le 21.01.06 | 15h59
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Le 9 décembre 2005, la productrice Kathleen Kennedy a fait le voyage de Paris pour présenter Munich, le film que Steven Spielberg vient de terminer dans le plus grand secret et qui suscite déjà une polémique aux Etats-Unis. Le consul d'Israël à Los Angeles vient de protester contre la représentation que le réalisateur de La Guerre des mondes donne de la prise d'otages des athlètes israéliens par un commando palestinien lors des Jeux olympiques de 1972 en Allemagne et de la traque des responsables de l'attentat par les services secrets israéliens.

Chronologie

Neuf Palestiniens de l'organisation Septembre noir pénètrent dans les chambres de la délégation israélienne, dans le village olympique de Munich où les Jeux ont commencé le 26 août. Un entraîneur et un athlète sont tués, neuf autres hommes sont pris en otage. Le commando demande la libération d'environ deux cents détenus palestiniens et européens, dont des membres de la Fraction armée rouge.

12 heures. Alors que le gouvernement israélien de Golda Meir refuse de négocier, un ultimatum est repoussé à 17 heures, puis à 20 heures. Le commando demande à être transporté avec les otages vers un aéroport où l'attendra un avion à destination d'un pays arabe. Les autorités allemandes proposent le terrain militaire de Fürstenfeldbruck.

21 h 30. Trois hélicoptères procèdent au transfert. Dès leur arrivée sur l'aéroport, ils sont la cible de tireurs d'élite allemands. La fusillade dure deux heures au terme desquelles les Palestiniens survivants jettent une grenade sur l'un des hélicoptères et en mitraillent un autre. Tous les otages sont tués mais le doute demeure sur l'origine des tirs qui ont mis fin à leur vie. Trois membres du commando ont survécu, ils seront libérés par l'Allemagne quelques mois plus tard après le détournement d'un avion de la Lufthansa.


Après cette projection, dans les bureaux d'UIP, la structure qui distribuera le film en dehors des Etats-Unis (il doit sortir en France mercredi 25 janvier), un groupe d'hommes d'affaires discute avec la productrice. Ce sont les distributeurs des films Universal venus du monde arabe (Egypte, Liban, Emirats). Une autre femme participe à la discussion. On vient de la voir dans Munich : elle interprète Marie-Claude Hamchari, l'épouse du deuxième responsable palestinien tué par le commando du Mossad dont le film suit l'itinéraire ; Hiam Abbas, de nationalité française, est née à Nazareth en 1960. Figure respectée du cinéma arabe, elle a réalisé des courts métrages et joué, entre autres, dans La Porte du soleil, l'épopée palestinienne de l'Egyptien Nousry Nasrallah, et, plus récemment, dans le film israélien d'Eran Riklis, La Fiancée syrienne.

Kathleen Kennedy lui a demandé de participer à cette discussion avec les distributeurs du monde arabe, dans l'espoir d'y montrer le film. L'actrice explique que la partie n'est pas gagnée : "J'ai appris qu'il fallait commencer par convaincre les censeurs des Emirats. S'ils acceptent un film, les Egyptiens, qui sont beaucoup plus stricts, le laisseront sans doute passer. Mais ici il n'y a pas que la question politique..." Spielberg devra probablement couper plusieurs scènes d'amour physique s'il veut que les cinémas du monde arabe projettent son film.

Pour Hiam Abbas, cette rencontre avec les distributeurs est le dernier épisode d'un détour imprévu dans son parcours, qui lui a permis d'être très étroitement associée à la "fabrication", comme elle le dit, de Munich. Pour Kathleen Kennedy, "dès qu'Hiam a commencé à travailler avec nous, il nous est apparu que son expérience de Palestinienne jouerait un rôle de plus en plus important dans la réalisation du film". Et, de fait, l'actrice, d'abord retenue à la fois pour un rôle très bref et pour être, quatre semaines durant, la répétitrice ("coach") des comédiens tenant des rôles de Palestiniens, a finalement suivi le tournage de Munich de bout en bout, puis participé aux doublages (en français et en arabe) et aux sous-titrages du film.

Le premier contact entre Hiam Abbas et les responsables parisiens de la distribution des rôles de Munich n'avait pourtant pas été prometteur. "Le rôle était presque muet. De plus, je ne pouvais pas partir à l'aveuglette dans un film de Spielberg, réalisateur juif américain. J'ai demandé à lire le scénario, mais on m'a répondu que je ne pourrais lire que mes scènes."

"DANS L'HUMAIN"

Une fois engagée comme coach, Hiam Abbas lit enfin le scénario. Celui-ci est dû à Tony Kushner, le dramaturge new-yorkais auteur d'Angels in America, une fresque qui retrace l'épidémie de sida aux Etats-Unis. C'est le quatrième scénario que Steven Spielberg a commandé sur le sujet depuis qu'il a lu, en 1998, le livre Vengeance, de George Jonas, récit autobiographique contesté de la traque des responsables de l'attentat par les services israéliens. Dans les mois qui ont suivi les attentats du 11 septembre 2001, le réalisateur avait renoncé au projet. Puis, comme l'explique Kathleen Kennedy, "il est devenu évident que ces problèmes devenaient de plus en plus intéressants". "Ces problèmes", c'est la question des limites que doit se fixer une démocratie dans sa lutte contre le terrorisme, dont l'actualité est établie à la fin du film, le temps d'un plan sur les tours jumelles de New York.

A la lecture du scénario de Tony Kushner, l'actrice palestinienne est soulagée : "Dès les premières pages, qui montrent la prise d'otages, j'ai compris qu'on était dans l'humain. Les personnages des fedayins avaient une personnalité. J'avais aussi des réserves : il me semblait que les voix des Palestiniens n'étaient pas assez audibles, que l'on ne montrait pas la continuité entre le sort des Palestiniens de l'intérieur et ceux de l'extérieur."

Dès son arrivée, Steven Spielberg a demandé à Hiam Abbas ce qu'elle pensait du script : elle lui a fait part de ses réserves. Le lendemain, Tony Kushner lui présente une scène : "On était à l'aéroport de Tel-Aviv, et Avner croisait un groupe d'enfants palestiniens. J'ai suggéré d'en faire des scouts plutôt que des écoliers encadrés par des institutrices voilées comme Tony l'avait écrit. J'avais le souvenir de ces excursions qu'on organisait pour nous, les écoliers arabes, afin de découvrir ce pays qui était censé être le nôtre. Finalement la scène avec les scouts a été tournée. Un gamin effleurait Avner, qui réalisait que ses enfants à lui devraient vivre avec cette génération. Mais elle a été coupée au montage."

Parallèlement à ce processus de réécriture permanente, Hiam Abbas se voit conférer le titre de conseillère technique, après avoir fait remarquer que la maternité où l'épouse d'un agent du Mossad doit accoucher ressemble furieusement à l'établissement chrétien dans lequel elle est née à Nazareth et pas du tout à une clinique israélienne.

Elle accompagne donc l'équipe à Budapest, où sont tournées les séquences situées au village olympique, et à l'aéroport de Fürstenfeldbrück, proche de Munich, théâtre de la sanglante conclusion du drame. "Tous les comédiens qui jouaient dans cette séquence avaient fait des recherches personnelles. Ils avaient vu le documentaire One Day in September (réalisé par Kevin MacDonald, diffusé par Arte en 2002, ce film doit sortir en salles en même temps que Munich), lu des livres. Ils étaient très jeunes et le soir ils allaient tous ensemble draguer les filles à Budapest. Mais, en arrivant sur le plateau, ils devaient retrouver la haine qui divisait les deux camps. Il n'y avait que deux Palestiniens parmi les comédiens arabes. Quand on a tourné la scène au cours de laquelle les fedayins font descendre les otages de l'hélicoptère, les acteurs arabes ont dû faire un effort surhumain pour maltraiter les Israéliens. Juste avant le signal du moteur, tout le monde s'est réuni sur la piste, tous les comédiens se sont tenu la main. Chacun était renvoyé à sa douleur, à ses morts.

"Plus tard, quand on a tourné l'exécution des otages, un comédien israélien a craqué et j'ai dû m'éloigner un long moment avec lui. J'étais une mère, une soeur, une psychologue. Et j'ai eu un sentiment que j'avais déjà eu sur le tournage de La Fiancée syrienne : que si on transportait ce conflit sur un plateau de cinéma, il n'y aurait plus de conflit."

Thomas Sotinel
Article paru dans l'édition du 22.01.06

Publié dans Promo du film

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