«Munich» face aux critiques

Publié le par David CASTEL


François DUBUISSON

Mis en ligne le 27/01/2006
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L'essentiel du film de Steven Spielberg se centre sur la psychologie et la personnalité des membres d'un commando israélien. Mais le sens du film se révèle ambivalent.

Professeur-assistant à l'ULB - Centre de droit international Auteur de «Cinéma et idéologie: représentation et fonction du terrorisme dans le film d'action hollywoodien» (1)

Le film «Munich» de Steven Spielberg suscite, c'est le moins que l'on puisse dire, la polémique. Pas une revue qui n'y consacre, cette semaine, un dossier et ne relate les controverses qu'il suscite. Certains reproches adressés au film, en particulier aux Etats-Unis et en Israël, consistent à dénoncer le tour par trop «pro-palestinien» de l'oeuvre de Spielberg: il dresserait un tableau trop humain des terroristes palestiniens et placerait sur un même plan leurs actions et les réactions israéliennes à celles-ci. D'autres pensent même pouvoir déceler dans «Munich» une dimension «antisioniste», qui y aurait été imprimée par le scénariste Tony Kushner, Juif marqué à gauche.A la vision du film, il s'avère toutefois difficile de trouver un quelconque fondement à ces analyses. Au contraire, si le film véhicule effectivement un questionnement sur le mode de réaction de l'Etat d'Israël face au terrorisme - et au-delà de ce cas particulier, de tout Etat démocratique - il faut constater que la portée critique du film atteint rapidement ses limites, et se révèle en définitive ambiguë.

Tout d'abord, il faut souligner ce qui constitue l'amorce du film: la prise d'otages sanglante de Munich en 1972 par le groupe Septembre noir. Ce choix assumé place d'emblée la thématique de «Munich» sur la question du terrorisme palestinien et de la réponse à celui-ci, en laissant de côté toute évocation des causes plus profondes du conflit israélo-palestinien, que sont l'occupation ou le problème des réfugiés, à peine effleurés par deux ou trois lignes de dialogue sur l'ensemble des trois heures de film.

Ensuite, on doit relever une réelle incapacité de Spielberg à appréhender l'Autre, à le représenter dans une dimension psychologique complexe. Les personnages de Palestiniens dans «Munich» se résument à des archétypes sans vie, sans passé, et leur présence à l'écran ne dépasse jamais plus d'une scène ou deux. L'«humanisation» des terroristes, tant décriée par certains, se borne en réalité à faire précéder les scènes de liquidation des responsables de Septembre noir d'une brève séquence les présentant dans une scène banale de la vie quotidienne: l'un discute avec sa femme et sa fille, l'autre fait ses courses, un autre encore fume une cigarette sur un balcon d'hôtel. Mais l'on reste en peine dans «Munich» de trouver un véritable personnage de Palestinien, avec lequel le public pourrait être amené à se solidariser. Par un procédé de mise en scène fort douteux, Steven Spielberg ne dévoile qu'en toute fin de film le dénouement de la prise d'otages de Munich, révélant l'image saisissante de l'exécution gratuite des athlètes israéliens par les membres de Septembre noir, et accentuant ainsi pour le spectateur l'équation Palestinien/terroriste. Par contraste, l'essentiel du film se centre sur la psychologie et la personnalité des membres du commando israélien, présentés comme une bande de pieds nickelés assez attachants, et traversés de doutes et d'interrogations sur le sens de leur mission, se montrant toujours soucieux de préserver les vies innocentes. Et l'on découvre Avner, le héros du film, dans de nombreuses scènes familiales autour de sa mère, de sa femme et de sa fille.Enfin, le sens de «Munich» se révèle très ambivalent. Avner, le chef du commando israélien, finit par renoncer à sa mission et à s'installer à Brooklyn. Mais les raisons qui le poussent à ce renoncement sont finalement floues: doutes sur la légitimité et l'efficacité des assassinats de dirigeants palestiniens, mais également manque de reconnaissance de la part des autorités israéliennes, séparation de sa femme, disparition de ses compagnons d'armes,... Avner n'a finalement rien d'un «refuznik» refusant de servir pour l'armée israélienne par principe politique et compréhension de la cause de l'Autre.

(1) in Olivier Corten et Barbara Delcourt (coord.), «Les Guerres antiterroristes», Contradictions, n° 105, 2004.

NdlR: voir aussi nos dossiers «Munich, la polémique» paru dans LLB du mardi 24/01/06 et «La Libre Culture» du 25/01/06.

© La Libre Belgique 2006

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Publié dans POLEMIQUE

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