Le courage de Spielberg

Publié le par David CASTEL

 
 
Daniel Craig, Steven Spielberg, Hanns Zischler et Eric Bana.
PHOTO AFP.
PAR ARNAUD BORDAS.
[21 janvier 2006]

Son nouveau film, le plus personnel, narre une opération de représailles du Mossad. Vertigineux.

Il y a des malentendus qui ont la peau dure. Steven Spielberg a beau être l'un des réalisateurs les plus populaires de l'histoire du cinéma, il continue d'être considéré par beaucoup comme un «money maker», un faiseur de films à succès pour la plupart infantilisants. Cela fait plus de vingt ans que la réputation du réalisateur pâtit de cette étiquette essentiellement due au carton historique de E. T. l'extraterrestre. Du coup, depuis la Couleur pourpre (en 1985 !), à chaque film étiqueté «projet sérieux», on nous ressort au mieux que Spielberg a mûri, au pire qu'il essaie de se racheter une conduite. On se rappelle déjà la polémique autour de la Liste de Schindler, en 1993, où certains gardiens de la morale dénièrent le droit au réalisateur de Jurassic Park de faire un film sur l'Holocauste, allant même jusqu'à accuser ledit film de donner dans le révisionnisme pour une scène de douche volontairement incomprise. L'été dernier, certains virent dans la Guerre des mondes un film pro-Bush, cliché critique totalement hors sujet, le sous-texte évident de la Guerre des mondes étant la peur qui ronge l'Amérique depuis les attentats du 11 Septembre.


Avec Munich *, Spielberg aborde un autre sujet épineux, celui des attentats qui ensanglantèrent les Jeux olympiques de Munich en 1972 et au cours desquels onze athlètes israéliens trouvèrent la mort. Somme toute, le metteur en scène trouve ici l'occasion de traiter sans détour le thème qui habite son oeuvre depuis déjà plusieurs films et qui se résume en une question angoissante : où va notre monde ? Cinéaste narratif par excellence, Spielberg inscrit pourtant Munich dans la lignée des thrillers et des grands films d'espionnage des années 70. Traitant l'action du commando palestinien Septembre noir dès la traumatisante scène d'introduction (où images d'archives et reconstitution se télescopent), il aborde ensuite très rapidement le coeur de l'intrigue, à savoir la vengeance d'Israël orchestrée par le Premier ministre Golda Meir et le Mossad. Une vendetta qui va conduire cinq agents israéliens à travers le monde à la recherche des coupables, et les entraîner dans une spirale de la violence irrépressible. Cette transmission de la violence et la notion de communication pervertie qu'elle induit (l'un des personnages souligne qu'Israéliens et Palestiniens dialoguent par attentats interposés) constituent le coeur du film et permettent à Spielberg de livrer un constat déchirant et très pessimiste sur les relations géopolitiques du monde actuel, qui abîment irrémédiablement les âmes des individus. Une thèse ô combien courageuse pour un film visant quand même le grand public et dont la pertinence explose à la face du spectateur lors d'un plan final, aussi marquant qu'inquiétant. Entretemps, Spielberg aura livré un grand film, certes rempli d'émotion et de suspense, mais aussi traversé d'une gravité prégnante qui fait encore son effet longtemps après la projection.


Hélas, encore une fois, l'incompréhension est de mise. Déjà victime de menaces de mort durant le tournage, Spielberg s'est vu cloué au pilori ces dernières semaines par une partie de l'intelligentsia internationale. L'écrivain Jack Engelhard l'a notamment traité de «rat» et d'«ennemi d'Israël» tandis que certains journalistes l'ont carrément accusé d'antisémitisme (!!!). Propos stupides confirmant, ironie du sort, le message de Munich : la paix n'est pas de ce monde. CQFD.


* Drame politique, avec Eric Bana, Daniel Craig et Mathieu Amalric.


Publié dans Critiques film France

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